[BG] Serenade [X]

J'ai eu la chance de vivre une enfance heureuse, dans le village de Ninemendil. Bien nombreux sont ceux dont le passé est meurtri, blessé voire défiguré. La fortune m'a épargnée cependant, jusqu'à présent. Mais 117 ans c'est encore bien jeune pour ceux de ma race. Et je sais que je ne suis qu'à l'aube de mon existence elfique.

Beaucoup des miens avaient connu ces temps orgueilleux où notre peuple se targuait dans une supériorité ostentatoire. Certains même cultivaient toujours ce dédain envers nos frères sombres, qui jadis, durent faire le terrible choix qui les ont engouffrés dans les ténèbres. Nous avions fait des erreurs oui. Il y a de cela des siècles. Et mon âme me disait que toute cette mascarade n'avait plus lieu d'être.

Comparé à l'Histoire, je n'ai que peu a raconter de ma personne. Ma vie n'a été jusqu'alors que consacrée à l'étude et le chant. Et, facétie du destin, Sérénade était le nom, comme providentiel, qui m'avait été donné à ma naissance. Je suis passionnée de ces récits qui témoignent d'improbables faits passés. De ces textes épiques qui, au delà même des faits, révèlent ce que nous sommes au plus profond de chacun de nous. Et j'aime partager cette passion qui m'anime. Je suis conteuse. Avec les miens nous nous réunissons souvent, nous partageons ce bonheur d'exister et d'être ensemble. Et lorsque que l'astre scintillant se met à décliner, un silence respectueux s'installe. J'élève alors ma voix cristalline et les emmène doucement dans des envolées imaginaires où tous se laissent bercer ou bien captiver. Et je n'ai nulle autre force que celle de la parole. La parole... Arme puissante qui, d'une telle simplicité, peut conduire les plus terribles guerres, comme mener les plus nobles alliances. Celle par qui nous pouvons communier avec ceux qui nous sont chers, ou bien notre propre environnement. Celle par qui nous pouvons partager nos rêves.

Feu souverain Théodus en avait été le parfait exemple, démontrant, contrairement à son frère Kazareth, que l'usage des armes n'était pas le seul et unique recours aux différents.

A dire vrai, fond de moi, je sais que le monde n'est pas l'espace paisible dans lequel je vis depuis toujours. Le témoignage des anciens transpire encore, bien qu'avec peine, de ces vieux grimoires qui s'entassent dans les bibliothèques. Et les messagers sont souvent de bien tristes nouvelles. D'un côté, le temps efface certaines tensions entre les races. Elfes, Sombres, Humains, Orcs et Nains se réunissent, échangent, commercent. Mais l'influence des dieux demeure omniprésente dans nos coeurs. Si Eva a sa place dans le mien par exemple, il est indéniable que Gran Kain sévit toujours dans les âmes les plus noires.

Mais qu'en sais-je réellement ? La réalité était-elle celle des livres ? Que feront de ces terres les descendants de ceux qui forgèrent le monde ? Le questionnement me ronge un peu plus chaque jour. La soif de réponses. La soif de certitude. Puis l'idée, le projet prennent formes... et enfin la décision. Je veux découvrir le vaste monde. Je veux m'échapper de cette vie qui revêt un peu plus, chaque jour, l'image de la passivité. Je connais le passé des miens. Et certes, pour certains, je sais déjà que certaines blessures ne se refermeront jamais plus. Le sang versé dans les affrontements révolus ne s'efface jamais de l'âme, dit-on. Et pourtant j'ai ce sentiment de justice qui vit en moi, infime. Ce sentiment qui me murmure dans le crépuscule, alors que je prends la route : "Va ! Ne te retourne point. Ta destinée s'étend devant ton regard."

Qui sait ce qui m'attend réellement ? Qui peut deviner ce qui se tapit dans l'ombre de mon avenir ? A chaque pas, celui ci se découvre un peu plus. J'ai choisi d'aller de l'avant. Je ne perçois pas encore le chuchotement de la Nature qui m'accompagne. Et pourtant, cette dernière me prête déjà sa force, tranquillement. Sans que j'en aie encore conscience, sa magie me traverse, calme, protectrice... et c'est tout mon être qui résonne avec elle, serein, inexplicablement rassuré. La volonté de protéger ce monde point au fond de mon coeur. Les premières lueurs du crépuscule apparaissent. Je chantonne en souriant dans la brise du soir.

BG Valide